Pendant longtemps, les choses, au fond, n’ont pas changé. Un proverbe vénitien, pas tout a fait médiéval (et noté bien, vénitien et non pas sicilien) définissait ainsi le comportement idéal d’une femme “Che la piasa, che la tasa e che la staga in casa” (« qu’elle soit jolie, qu’elle se taise et qu’elle reste à la maison ». Il est évident que la question ne se pose pas sur un plan religieux mais plutôt anthropologique et culturel, comme les fille chrétiennes du Moyen Orient qui subissent des mutilations génitales et des mariages arrangés, ou elles sont tuées par leurs familles si l’on découvre qu’elle ont eu des relations sexuelles illégitimes, étant donné que le même « code d’honneur » existe auprès de toutes les populations, indépendamment de l’appartenance religieuse.
Je ne veux pas minimiser : je trouve grave qu’une fille qui est née et qui a grandi en Italie, qui a demandé à ne pas être exonérée du catéchisme dans son lycée et qui a même accepté de faire du bénévolat dans la paroisse de son quartier, puisse retenir acceptable-en théorie- un acte comme la lapidation. Cependant, je me demande combien de catholiques, appelés à s’exprimer à la télé sur des arguments controverses comme la contraception ou la possibilité de donner la communion aux divorcés, ne se seraient pas sentis en devoir de défendre la position officielle de l’Eglise, au-delà de ces opinions personnelles.
Cet incident ne sert qu’à démontrer que, en particulier sur certaines questions, l’humanité évolue avec beaucoup de lenteur et que l’effort pour s’émanciper de tabous ataviques et de la discipline de groupe requiert un énorme effort. La même jeune fille, lors d’une autre émission télé, a été questionnée par un autre journaliste patriote et de bon cœur, si elle était disposée à manifester devant l’Ambassade de l’Arabie Saoudite en faveur de la liberté de religion des non musulmans qui y résident et auxquels il est interdit de célébrer quelconque rites et même de posséder des objets et des livres typiques de leur religion.
Il me semble que par ses choix (et ceux du père qui collabore avec les missionnaires franciscains dans des œuvres de bienfaisance dans les pays pauvres d’Afrique noire) la jeune musulmane ait fait déjà beaucoup et doit pour ceci être appréciée. Aux diligents journalistes je demanderais qu’on-t-ils fait eux et leurs journaux pour exercer des pressions sur ceux qui gouvernent l’Arabie, pour un majeur respect des droits de l’homme, quel politicien ou quelle entreprise publique du secteur hydrocarbure a jamais lié les contrats milliardaires à des conditions de tutelle des travailleurs étrangers dans ce pays ? C’est vulgaire d’évoquer les intérêts et l’argent j’en suis conscient. Mieux vaut s’en prendre à elle, avec son voile et sa naïveté, pour démontrer l’infamie de sa foi arriérée et sexiste et pouvoir rentrer chez soi, triomphant pour avoir appeler un chat un chat, comme un courageux porte-drapeau de l’information indépendante !
Par association d’idée, je me souviens des conditions inhumaines dans lesquelles travaillent de nombreux clandestins. J’ai connu des jeunes employés dans des entreprises du bâtiment qui travaillaient le dimanche (en tous les cas ils ne vont pas à la Messe… ), sans aucune protection ni assurance contre les accidents, qui avaient droit à 15 minutes de pause déjeuner. Je crains que ceci ne soit pas un cas isolé. Partout le clandestin est perçu comme un potentiel criminel, ou quelqu’un qui commet des crimes juste pour le fait d’exister, et non pas comme quelqu’un qui subit toute sorte de vexations, injustices et violence (rappelons les sous-locations où ils vivent amassées payant des sommes exorbitantes ? ou les prostitués nigériennes qui ne me semblent pas arriver à bord de charrettes de la mer, mais dans des vols de ligne, munies de visa qu’il serait intéressant de savoir comment elle se le procurent). Si de plus, il est musulman, sa prédisposition à militer dans des groupes éversifs et terroristes s’aggrave ultérieurement. On a oublié que les italiens (et irlandais) étant catholiques et donc papistes, provenant de zones rurales et donc analphabètes, superstitieux et machistes étaient considérés, jusqu’à il y a très récemment, suspects et méprisés dans les civils pays de l’Europe du Nord et aux Etats Unis. Il a fallu du temps afin de surmonter les préjugés envers eux.
Cette méfiance qu’ils ont connu ne fut pas totalement injustifiée : une forme de criminalité organisée s’est répandue de l’autre coté de l’Océan. Cela signifie que cette discrimination fut légitime ? Ce qui est compréhensible dans certain cas ne peut devenir justifiable en général. C’est une leçon que nous aurions dû apprendre à nos dépends, mais c’est facile d’oublier. On finit par effacer certaines parentés inconfortables surtout lorsqu’on rejoint un bon niveau de bien-être. Mais de cette façon on risque de jeter le bébé avec l’eau du bain.
La vie qu’ont sacrifiée d’entières générations contribuant au développement du pays devient alors une chose embarrassante, un accident de parcours, un mal collatéral qui dérange et qu’il est de mauvais goût de rappeler. Entre autre, les choses ont changé trop vite : en quelques décennies, nous sommes passés d’un pays d’émigration à une destination d’immigration croissante. C’est normal que ceci fasse peur. La manière dont un tel phénomène est en train de se développer n’est pas toujours la meilleure. On dirait presque être un événement atmosphérique que l’on accepte de façon passive et qu’on ne gére pas réellement. Il est juste exigé que ceux qui doivent réglementer le fassent avec sagesse et rigueur. Mais se souvenir qu’il n’y a pas très longtemps nous étions de l’autre coté de la barricade pourrait nous encourager à considérer surtout l’aspect humain de ceux qui arrivent sur nos côtes. Mises à part les différences de langues, mentalité, foi (qui existent et qui ne doivent pas être sous-évaluées), il s’agit la plupart des fois de personnes qui cherchent surtout une condition de vie meilleure, un travail digne, la liberté de pouvoir décider de leur propre futur… ils ne trouvent pas toujours ce qu’ils cherchent. Mais quand ils y arrivent, ils ressentent un sentiment de profonde gratitude. Nous devrions donner plus d’attention à la meilleure partie d’entre eux, ceux qui partagent nos même inquiétudes et même espoirs, dans notre propre intérêt.
Une fois que nous aurons fait quelques pas les uns vers les autres, les obstacles qui nous paraissent insurmontables seront probablement redimensionnés. Des différences resteront irréductible à la fin, elle font partie de la vie. Si nous voyions exclusivement celles-ci, même nos rapports familiaux deviendraient insupportables. Sans un minimum de confiance envers les autres, personne n’oserait traverser la rue…. même au feu vert.
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